
Ma sœur m’avait prévenue. « Tu verras, à partir du collège, ils commencent à délaisser un peu les Lego, ce sera la fin. » Elle avait raison. Elle a toujours raison. L’avantage avec ma petite sœur, c’est qu’en matière de conseils maternels, elle se transforme en grande sœur. Elle a quelques années d’avance sur moi sur la question et des garçons très similaires aux miens. Alors je bois ses mots comme on écoute un spritz sur une terrasse d’été. Ou l’inverse.
Sacha est entré au collège en septembre dernier et mes deux arsouilles ont décidé d’évoluer ensemble, même si le petit brun n’est qu’en CE2. Ils se sont mis à se laisser pousser les cheveux. Ils ont commencé à prendre des douches plus souvent et à se regarder dans le miroir tous les matins comme un soir d’élection. Ils ont créé leurs playlists respectives et ont fermé leurs portes avec des messages politiques façon mai 68. Ils se sont essayés à un humour pré-adolescent et ont entamé une douce résistance. Et ils ont continué à jouer aux Lego, mais un peu moins. C’est là que j’ai pensé à cette phrase de ma sœur, mon gourou, à propos de son aîné qui allait entrer au collège : »j’te jure, je sens que je suis en train de le perdre ». J’en ai eu les jambes toutes flageolantes.
Les Lego, c’était toute leur vie. Leur sud, leur nord, leurs noëls, leurs anniversaires, leurs plus belles heures de complicité. Que serait donc notre vie après les petits hommes jaunes ?
Mais encore une fois, j’ai avancé à peu près sereine malgré tout, parce que les fils de ma sœur ont eu beau changer de hobbies, avoir quelques poils au menton et la voix douteuse dans les aigus, ils sont restés des modèles que je ne troquerais pour rien au monde pour mes garçons. Et encore une fois, j’ai eu raison grâce à ma sœur.
La vie après les Lego, c’était en fait des centaines d’heures de cinéma sur mon téléphone. Ils ont continué à créer, mes arsouilles, mais autrement. Ils ont juste trouvé un autre moyen d’être eux, « dans un monde qui change » comme dirait la Macif ou le CIC, qui sait.
Simon veut arrêter l’école et passer des castings. Sacha veut écrire des livres et des scénarios, et encore laisser pousser ses cheveux.
Alors tout va bien. Comme dirait leur père, « rien ne les rendra plus heureux que de créer ».
J’vous jure, parfois, j’ai l’impression que je suis en train de les perdre. Et puis la seconde d’après, je les regarde, je les écoute, et je me dis que ces petites pertes, c’est leur manière à eux de se trouver.
Alors je suis la plus heureuse des mères.