Debout.

SCENE

C’est une très belle femme. Ce n’est pas ça qui est important dans l’histoire, mais c’est ce qui vous vient en premier quand elle arrive dans la lumière. Elle monte sur scène le regard fixe et droit, elle s’installe derrière son pupitre, solide. C’est une très belle femme qui s’apprête à dire de très belles choses. Des mots tristes posés sur des feuilles trop blanches pour un tel récit. Des papiers noircis de lettres qui viennent déchirer l’obscur et déchiqueter quelque chose en vous.

Dans la salle, on entendrait les mouches voler. On se concentre pour avaler sa salive sans briser le pacte secret passé entre les spectateurs : ne pas gêner le récit. Lui laisser tout l’espace et le son, ne pas faire d’ombre au projecteur qui se livre tout entier à cette belle femme qui ne vacille pas. Elle aurait pourtant toutes les raisons de le faire. Mais dans sa posture et son message, la force emporte tout. La force de l’amour d’une mère qui, on le comprend peu à peu, n’est pas là pour expliquer, témoigner, narrer.
Non, cette femme est montée sur scène parce que ça sortait de ses tripes, parce que ce douloureux chemin l’a menée là, ce soir de septembre, dans une salle vidée du reste du monde et pleine de sa présence.

Elle interroge et met des mots sur l’absurde, elle se livre en entier.

Quand l’éclairagiste achève son œuvre, elle reste là quelques secondes sans bouger. La pénombre n’a toujours pas eu raison d’elle.
C’est une très belle femme qui a perdu sa fille Suzon un soir de novembre au Bataclan, et qui se tient debout dans la lumière.

Texte sur Sabine Garrigues, vue et entendue en septembre 2022 lors du festival Actoral à Marseille, dans « La terre n’est rien d’autre qu’un morceau de ciel ».

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