L’amour utile.

Son rendez-vous a été annulé, il devait avoir lieu quelques jours après le début du confinement. A l’appel du médecin, elle s’est dit que le sort s’acharnait. Elle n’a pas pensé aux potentielles victimes du coronavirus, ni à ceux qu’il fallait protéger. Ça fait des années qu’elle l’attendait cette FIV, cet ultime espoir. Et il faudra peut-être encore patienter quelques semaines. Confinée dans une attente interminable, dans ce corps insolent, elle a bien cru qu’elle allait flancher.

Des années à espérer, à se faire des piqûres dans le ventre, à faire l’amour « utile ». A ne plus voir son compagnon comme celui qu’elle avait rencontré en soirée, et qui lui avait tout de suite fait des papillons dans ce même ventre. Après des longs mois à essayer encore et encore d’avoir un enfant, elle avait commencé à le regarder comme un outil, un moyen, un chemin vers l’après. Elle se demandait d’ailleurs souvent comment lui la voyait aussi désormais, elle qui n’y « arrivait pas ». Elle lui en voulait souvent, sans trop savoir pourquoi. Le reste du temps, elle se demandait pourquoi il restait à ses côtés. Avec tant de rendez-vous stériles et d’espoirs gâchés, elle sentait que quelque chose en elle mourrait doucement, quelque chose en eux aussi, parfois. Pourtant ils se retrouvaient toujours, et elle sentait bien qu’il commençait à envisager la vie sans enfant. Pas elle. Elle avait toujours ce truc au fond du bide, cette envie viscérale. Ce maudit ventre n’était bon qu’à ça, à lui rappeler à quel point elle désirait être mère.

Après quelques jours de confinement, elle a fini par lâcher un peu la bride, sans en être consciente. Elle a recommencé à faire l’amour un peu comme avant, puisque son rendez-vous utile n’aurait lieu qu’après. Elle a oublié un peu son autre désir, elle a commencé à retrouver son corps. Elle a bien maudit ses quelques copines plaintives d’être confinées avec des enfants, sans plus. Elle a fini par s’évader un peu.

Après un mois enfermée avec lui, elle a compris qu’il n’y avait rien d’utile dans leur amour. Il y avait juste l’évidence, la petite chose qui fait que ça dure malgré tout, qui reste fécond de tant de choses. Elle a retrouvé sa quiétude d’antan, blottie dans des bras qu’elle aurait aimés voir bercer un enfant.

Ce matin elle s’est réveillée avec un sentiment étrange, une intime conviction. Elle n’a pas attendu qu’il sorte de son sommeil lui aussi. Elle a coché à la hâte la bonne case sur son attestation, elle a filé à la pharmacie. Étrangement sereine, elle est rentrée sans dire un mot. Il dormait encore. Elle a pleuré quelques minutes puis s’est assise au pied du lit.

Dans quelques instants il ouvrira les yeux, elle ne sait pas encore quels mots elle choisira. Elle commencera peut-être par lui dire qu’elle l’aime. Mais il peut dormir encore un peu, rien ne presse. Elle lui doit bien ça après quatre années d’insomnies. Dans quelques mois il sera père, chaque seconde de sommeil lui sera alors bien utile.

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