Je me suis laissée convaincre facilement. Pas pour l’aspect sportif de la chose, non. Il est rare que je me réveille avec l’envie d’aller remuer mon corps de mamma gourmande. Par contre, je m’endors souvent en pensant à mes vaches normandes, à la verdure, à ce qu’on peut être bien dans la campagne, la vraie, pas celle des européennes ou celle des fonds d’écran photoshopés. Alors quand ma Vaness’ m’a proposé de faire partie de l’aventure, j’ai dit oui tout de suite. Banco pour le week-end rando au milieu de nulle part, avec une bande de filles que je ne connaissais pas, et dans une tenue qui ne me connaissait pas non plus.
Le truc a vraiment commencé quand il a fallu préparer nos sacs. Moi j’étais pas trop inquiète, j’avais ma pote Vaness pour contrôler chaque gramme de ce que j’allais devoir porter pendant l’aventure. « Pas de superflu, que des trucs légers »… j’ai quand même réussi à négocier des espadrilles de justesse, mais la brigade du Queshua avait commencé à agir sur nos neurones. « Penser utile ».
Et ce que je ne savais pas encore, c’est que pendant que j’hésitais entre un débardeur et un t-shirt manches courtes pour gagner deux grammes, Vanessa bourrait son sac à elle de plusieurs kilos de fruits secs pour nous prémunir en cas de déprime. La vraie amitié, celle qui est prête à porter vos charges pour que vous, vous puissiez aller tout en haut du sommet…. et si j’avais su la hauteur du sommet à l’avance, je serais peut-être même partie en slip…
Quoiqu’il en soit, grâce à cette amie précieuse et à plein d’échanges whatsapp qui sentaient bon l’épopée folle, je suis entrée dans l’aventure légère comme la plume qui vole au-dessus du nez de Forrest Gump.
Que ce week-end fut bon, fou, mémorable. J’aurais tant à dire. D’abord sur les visages de ces six femmes quarantenaires si contentes de quitter, durant quelques jours, leur quotidien un peu trop confort, serrées les unes contre les autres dans une grosse voiture de mec. En quelques secondes, j’ai compris qu’on tenait là une équipe de winneuses. Un mix entre les bronzés et les drôles de dames, entre le charme et la sportivité relative (mais fière), « entre tradition et modernité » comme disent les livres d’histoire. Le combo parfait pour aller au bout des pires Kho Lanta et choper l’immunité malgré les rhumatismes, des crampes de rires au ventre.
Guylaine, les deux Céline, Mahjouba, Vanessa et moi, on était prêtes à en découdre. Si motivées qu’on a décidé de ne pas suivre le chemin tout tracé et de nous engouffrer dans la montagne vierge de tout pas.
J’aurais beaucoup de mal à vous retranscrire fidèlement nos heures de marche, le premier jour, et cet espoir de voir enfin apparaître, au loin, le gîte et l’observatoire du Mont Chiran qui nous attendaient pour la nuit.
– Mais tu le vois, alors, l’observatoire ?
– Ben non, mais il doit être derrière la prochaine crête…
Deux heures plus tard :
– Et là, tu le vois ?
– Bon non mais il est derrière, c’est sûr, laisse-toi guider par les cairns…
Deux heures plus tard :
– Et là ?
– Oui, il est là. Enfin il est très très loin quand même…
Et ça, c’était avant que notre objectif ne se dissimule derrière un brouillard si épais que je ne voyais plus ni les fruits secs de Vaness, ni le faux « sac de rando » acheté sur Wish d’une des Céline, ni les cairns rassurants de Guylaine. A un moment, on s’est toutes senties comme Jean-Claude Dusse dans son téléski : au bord du rouleau. Sous la grêle, à 1900 mètres d’altitude, on a toutes pensé, au moins un instant, que la vie, sometimes, is a bitch.
Mais on a tenu bon, et on est arrivé comme des pétards mouillés à l’observatoire du Mont Chiran.
Attention, spoiler : le plus dingue arrive.
On ne sait jamais sur quoi on va tomber, disait Forrest. Ben là c’est sûr qu’on ne pouvait pas prévoir. Comment aurait-on pu deviner qu’après l’ascension la plus périlleuse de nos vies, on tomberait sur un gîte sans eau, sans électricité, sans chauffage, et tenu par un gourou des étoiles et une chanteuse celtique perchés encore plus haut que le Mont Chiran lui-même ?
Je crois qu’il y a plein de moments où on aurait pu pleurer, et que c’est pour ça qu’on a autant ri.
Il faut nous imaginer épuisées, collées les unes aux autres pour tenter d’oublier le froid. Il faut tenter d’imaginer Céline l’aixoise cachée sous sa couverture, réfugiée lunaire sous une voûte céleste qui ne tenait pas sa promesse. Il faut se figurer les visages des autres randonneurs, éberlués. Et puis, il faut avoir beaucoup d’imagination, mais il faut tenter d’entendre le son de cette flûte, enfin. La flûte de la chanteuse celtique, continuant sa mélodie malgré nos larmes de rire, accrochée tout là-haut, près de Jupiter qu’on a quand même fini par apercevoir à deux heures du mat’ à travers le télescope.
Si Guylaine était là, elle vous dirait que la chanteuse l’a beaucoup touchée. Que c’était quand même pas si mal parce que les WC panoramiques, dehors, étaient incroyables. Et c’est pour ça que c’est Guylaine qui a organisé le week-end et personne d’autre. Parce que, lorsqu’on a des étoiles dans les yeux, on distribue de la magie à ceux qui vous suivent, et qu’une simple crotte de mouton sur le chemin se transforme en signe qui nous dit qu’on est sur la bonne voie (et aussi parce que Mahjouba et son instinct sioux savent lire dans les crottes, mais ça c’est une autre histoire).
Voilà. Après ça, tout nous a paru facile. Presque un peu trop. Le gîte du charmant Jérôme, le lendemain, était si confort qu’on a failli en pleurer et qu’on est toutes tombées un peu amoureuses de lui.
Les derniers kilomètres, on les a franchis comme des fesses de bébé sur un toboggan en plastique. Easy.
Ne venez plus jamais me dire que je ne suis pas sportive. Je suis rentrée à la casa avec une grosse ampoule sous le pied malgré mes chaussures de compétition et des courbatures de patineuse artistique dans les jambes malgré le bain au gros sel conseillé par Mahjouba la sioux.
Et surtout, j’ai du perdre quelques centimètres de ma ceinture abdominale tellement j’ai ri avec elles. Et ces crampes-là, croyez-moi, ça vaut tous les Mont Chiran du monde…