Mes anonymes

OLIVIER

Je travaillais dans ce petit coin de mon salon que j’ai aménagé depuis que j’ai quitté la vie des open spaces. Je tapotais sur mon clavier, concentrée pour pouvoir être à la sortie de l’’école avec le goût du devoir accompli…

Dans ces moments-là, les heures s’effondrent silencieusement. Pas d’aller-retour à la photocopieuse, pas de collègue pour venir m’offrir un café. Pas de superflu, en somme. Je ne parle pas des collègues, nannn. Je parle juste des dizaines de feuilles que j’imprimais chaque semaine, et dont je me passe si volontiers aujourd’hui. Quant aux pauses « what else », j’ai réalisé que je m’obstinais à boire du café depuis toutes ces années alors que je n’ai jamais aimé ça. La vie est pleine de révolutions qui nous font parfois boire la tasse (attention, jeu de mots corsé).

Bref, cette nouvelle journée en home office m’offrait la douce quiétude d’une simplicité retrouvée, quand soudain j’ai entendu une musique s’échapper d’une fenêtre voisine. Un ou deux étages en-dessous, un voisin s’est mis à jouer du piano. Quelques impros, d’abord. Puis des airs de jazz. Un peu de Satie et plein de jolies choses, ensuite, qui vinrent égayer mon après-midi.

Depuis, j’entends souvent mon ami pianiste. Il ne joue jamais vraiment à la même heure, ce qui a installé un petit suspens entre lui et moi. Dès qu’il se lance, c’est comme s’il avait commencé à répéter dans sa tête depuis des heures parce que ça sort avec des allures de cavalerie. Ça galope sur son clavier pendant que je tapote sur le mien. Il ne me connait pas mais moi, j’ai l’impression qu’il me parle un peu malgré tout, et qu’on a plein de choses à se dire tous les deux. Moi avec mon silence qui l’écoute, lui avec ses heures de symphonies intérieures qui s’échappent enfin.

J’aurais envie de lui dire merci. Comme à tous ces gens que l’on ne remercie pas parce qu’en apparence, ils ne font rien d’extraordinaire. On dit volontiers merci au facteur qui nous apporte un colis, au garçon qui nous sert une tasse de thé (ça, j’en bois beaucoup plus depuis que j’ai renié Georges Clooney). Mais on ne témoigne pas la même gratitude à ceux qui, sans le savoir, égaient nos jours d’automne avec leurs petits étés à eux.

Par exemple, j’aurais envie de remercier mon voisin d’en face pour prendre si joliment soin de l’olivier sur son balcon, parce que si lui ne peut pas vraiment le voir de là où il est, moi je l’ai dans ma ligne de mire plusieurs heures par jour et ça me donne un goût d’Italie. 

Je souhaiterais aussi adresser mes respects au petit antiquaire de la rue Edmond Rostand devant lequel on passe tous les jours avec les enfants. Sa vitrine enjolive mes trajets matinaux en me plongeant dans ce que devait être le salon de Bardot à la grande époque. Et contrairement aux objets exposés, ce petit plaisir n’a pas de prix.

Je ne vais pas vous faire toute la liste, mais j’aimerais aussi dire merci au sosie de Jean Gabin qui habite à côté de chez moi. Il a l’accent des meilleurs Pagnol et il fait tellement partie du décor que sans ce fada, mon Marseille serait comme un apéro sans tapenade, une bouillabaisse sans rouille, un pastis sans olive.

Voilà. Merci à tous ces anonymes qui sans le savoir défilent sur mon écran, sur ma bande son ou dans mon générique et qui, en quelque sorte, sont ma petite dose de caféine à moi.

 

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