Lettres à Rouen.

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Bonjour. Ou bonsoir, je ne sais pas quelle heure il est vraiment chez toi. Quel ciel te tapisse et quel appétit te taraude maintenant.

Je te quitte, encore. Ne pleure pas. Tu nous inondes trop souvent de tes larmes généreuses, et ce soir je te demande de ne pas pleurer. Tu dois me laisser partir. Tu sais que c’est ainsi entre nous. On ne se déchire pas, on se quitte. C’est tout. Et puis je ne t’avais rien promis.  Dès l’aube je t’ai juré infidélité, et à chaque crépuscule j’ai rêvé d’un ailleurs, loin de toi.

Je t’ai aimé pourtant. Je t’aime encore tellement. J’ai appris à percer les mystères de ta mélancolie. Je ne fuis pas tes hivers, je m’en vais loin de tes étés. Tu comprends, j’ai besoin de lumière. Je veux déguster les soirs aoutiens sans retenue. Je veux la chaleur, la vraie, loin des feux artificiels qui décorent les terrasses frileuses. Je retrouverai les tomettes orange et l’ocre des tuiles du Hussard, je prendrai le maquis et ne me retournerai pas. Je serai cette étrangère, à nouveau, et tu me retrouveras changée, encore une fois. Loin de toi je deviendrai une autre, et tu accepteras mes trahisons. Car tu le sais désormais. Je ne t’aime jamais tant que lorsque je te dis au revoir.

***

Ça fait six mois que je suis loin de toi. Ne sois pas ridicule, je ne vais pas me mettre à paraphraser Polnareff. Je n’ai pas encore eu le temps de me languir de toi, je suis encore dans l’excitation d’un nouvel amour. Aujourd’hui, je pense à toi parce que le ciel te ressemble, voilà tout.

L’hiver a enfin installé son campement, ici. Le bleu se fait plus rare, comme si Cézanne avait retourné sa veste. Pourtant, à chaque rayon de soleil qui perce le coton, on sent que la palette s’animera bientôt à nouveau. La Provence n’est pas aussi résistante que toi face aux tentations de l’été éternel. Elle se pavane volontiers sans ombrelle ni ombrage et nous incite à nous dévêtir avec elle. Elle est si légère et si douce, tu ne peux pas m’en vouloir d’avoir répondu à son appel. Tu aurais pu me détester si j’avais voulu te remplacer, si j’avais flirté avec les automnes écossais et autres herbages de buveurs de bière. Mais ici, je ne change rien à notre histoire. Je ne t’oublie pas.

***

Demain je viendrai te rendre visite comme une maîtresse pressée. Je t’ouvrirai mes bras pour quelques heures. Tu n’auras pas changé. J’aurai sûrement froid entre tes draps et ce sera délicieux ainsi. Je me foulerai encore la cheville sur tes pavés capricieux, et j’atterrirai au creux d’une banquette vert bouteille pour déguster un chocolat chaud. Je retrouverai en toi le confort immobile d’un berceau d’enfant et tous ceux, si chers à mon cœur, que tu abrites en ton sein. Avant de te quitter à nouveau, je me glisserai sous la couverture, je réglerai le chauffage à fond, je te chuchoterai quelques mots éternels pour que tu m’aimes malgré tout. Mais être une femme libérée, tu sais, c’est pas si facile. Alors j’aurai peut-être un petit pincement au cœur au moment de claquer la porte. Toi, impudique, tu pleureras comme toujours, et je partirai sous tes gouttes, prête à t’aimer de loin, sans parapluie ni ombrage.

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